L’indispensable passage au numérique, un bienfait de la crise…

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Les têtes de réseau accompagnent leurs associé·es

S’équiper d’outils d’e-commerce, sous la forme d’un site marchand avec livraison, click and collect (cliqué-retiré) ou encore e-réservation sont aujourd’hui pour beaucoup d’enseignes une façon de survivre. Mais cette numérisation – partielle – de l’activité est cruciale pour l’avenir d’un réseau, et doit être menée avec le soin nécessaire, même dans l’urgence.

En ces jours de reconfinement et de fermeture des commerces réputés « non essentiels », de plus en plus d’enseignes se tournent vers le numérique. Les services de cliqué-retiré, l’e-réservation ou encore la livraison se multiplient, comme chez Monceau Fleurs. D’autres réseaux, déjà largement équipés de sites de vente en ligne se reposent intégralement dessus, comme Fnac-Darty, LDLC… « Pour un certain nombre d’activités, le click and collect ou la livraison vont se muer en une activité durable, souligne Sylvain Bartolomeu, dirigeant associé chez Franchise Management. Dans ce cas, l’intérêt de se doter de ce genre d’outils est patent. Pour d’autres réseaux, le chiffre qu’ils vont tirer de ces pis-aller se révèle infinitésimal. Pourtant, il permet de continuer à faire tourner le magasin. » Le contexte, également, pèse dans la décision. « Lors du premier confinement, les restaurants qui s’étaient adaptés rapidement avaient pu réaliser des chiffres intéressants, entre autres parce qu’ils n’étaient pas très nombreux, continue Sylvain Bartolomeu. Mais lors du reconfinement, tout le monde s’y est mis, l’offre s’est retrouvée du coup très diluée – et les chiffres réalisés aussi. » D’autant que les indicateurs de consommation, pour le mois de novembre, vont se révéler désastreux. Mais dans la perspective d’une réouverture, il va falloir être prêt à maximiser ses opportunités. Et passer au numérique – avec tout ce que cela implique – en fait partie.

Indispensable sur le long terme

Car l’enjeu de court terme – la mise en place rapide d’outils pour aider ses franchisés – recouvre aussi des enjeux de long terme. « On peut dire, en un sens, que ce passage au numérique, au sens large, est un bien nécessaire », estime Laurent Delafontaine, associé fondateur d’Axes Réseaux. Le déploiement d’outils numériques aura des conséquences fortes sur le savoir-faire, sur la façon dont le réseau va faire du commerce… Et ceux qui ont su s’adapter seront ceux qui, dans le futur, attireront des candidats.

« De toute façon, il va devenir quasiment impossible de maintenir une activité uniquement physique, estime Sylvain Bartolomeu. L’expérience client, en amont et aval, est de plus en plus numérisée, parfois même dans les magasins. » L’acte d’achat, ou le retrait, est encore un acte physique. Mais tout l’avant et l’après – la recherche, les promotions, le SAV… – est désormais numérique. De quoi ouvrir des portes : la multiplication des points de contact entre la marque et ses clients est aussi l’opportunité de faire évoluer ses offres – aussi bien principales que connexes. C’est bon pour une enseigne, quelle que soit son activité. Par exemple, beaucoup de salles de sport, aujourd’hui, offrent du coaching en ligne. L’offre restera intéressante, même après une réouverture des salles – sous forme, pourquoi pas, de débriefings personnalisés. Mais là encore, pour être menée correctement, l’opération demande des moyens : un son correct, un bon éclairage, des caméras HD… « Il faut, en fait, reprendre tout le processus consommateur, le confronter à ce que l’on apprend de ses relations clients et voir quelles briques seront impactées, par exemple, l’acte de paiement », décrit Sylvain Bartolomeu.

Un projet d’envergure

Mais attention, ne devient pas un pro du Web qui veut – encore faut-il s’en donner des moyens. Il ne suffit pas de « simplement » s’équiper des outils ad hoc. « Pour le faire, il faut le faire bien – et il faut une offre adaptée », souligne Bartolomeu. Et surtout, compter sur une bonne structure de départ aide, ce qui donne aux franchises un avantage : elles savent mutualiser leurs moyens. Il sera beaucoup plus facile à une enseigne qu’à un magasin indépendant, d’être visible, de construire une plate-forme adaptée et attirante, et de la faire connaître. Un site global sera mieux référencé et visité qu’une multitude de petits sites. Et, là encore, pour augmenter son impact, le site doit pouvoir présenter en livraison ou cliqué-retiré des produits phares, disponibles dans tous les magasins, ou des offres promotionnelles communes, ou encore une communication commune. Car le cliqué-retiré devient, en quelque sorte, la face émergée de l’iceberg. Derrière, en soutien indispensable, doivent se mettre en place les problématiques de référencement, de prolongation de l’expérience client, de travail de ses bases clients (emailings, sms…), d’élaboration de contenus numériques pour promouvoir l’offre et engager les clients (si Google est le premier moteur de recherche, YouTube est le deuxième)… Bref, pour que le click and collect ne soit pas un gadget, il faut investir du temps et de l’argent.

Un premier aspect important est le juridique. « L’arrivée d’un site Internet va impacter le contrat, souligne Laurent Delafontaine. Éventuellement influer sur la clause d’exclusivité, sur le périmètre de la redevance – le CA réalisé sur le site Internet va-t-il rentrer dans la base de calcul de la redevance des franchisés ou être considéré comme un CA additionnel… Il faut aussi penser aux questions de coût d’usage, de durée d’utilisation… » Bref, autant de questions de fond qu’il va falloir prévoir dans le contrat, pour ne pas s’en mordre les doigts plus tard. Par exemple, aujourd’hui, les services type Uber Eats génèrent des discussions de fond : les franchisés signalent que lorsqu’ils passent par ces plates-formes, ils touchent 72 % de leur CA normal (Uber Eats prend 28 % de commission), mais la redevance reste calculée sur 100 %

Autre exemple : pour l’expérience client, il ne suffit plus aujourd’hui sur le Web de proposer un catalogue – même très joli. Le Web suit la même évolution qui s’est produite dans les magasins physiques il y a quelques années, lorsque l’on est passé d’une philosophie de stockage de produits – le magasin est l’endroit où l’on vient le chercher – au storytelling, à la mise en scène du produit et de l’expérience client. Il faut aujourd’hui une vraie expérience consommateur en ligne, ce qui demande du contenu et des services, corollaires à l’acte de commande. Prenons l’achat d’un meuble en ligne : il va s’accompagner de vidéos sur l’installation, le montage… Ou l’achat d’outils de cuisine, de recettes, tutoriaux, vidéos de démonstration… Les exemples abondent.

L’utilisation des réseaux sociaux, notamment, réclame un vrai travail de fond pour que tout soit coordonné. Il faut produire du contenu de marque, du contenu sur les produits pour valoriser l’offre, du contenu pour engager ses clients, mais aussi mettre en avant les franchisé·es… C’est une refonte importante qui génère peu de chiffre à court terme, mais qui est essentiel à moyen-long terme. Surtout pour les magasins ou enseignes qui se reposaient pour beaucoup sur les achats d’impulsion et qui souffrent particulièrement en ce moment : ce travail de fidélisation sur le fichier client est crucial.

Enfin, « en plus de tous ces aspects techniques, pour que toute cette infrastructure numérique fonctionne correctement, il faut l’infrastructure humaine adéquate », souligne Ludivine Bertrand, consultante marketing et communication chez Progressium. Des équipes dédiées pour le pilotage de l’activité qui suivent des indicateurs précis, en lien avec le marketing et le réseau. Il faut établir une supply chain spécifique, des équipes formées pour la relation client… chez le franchiseur. « Mais le·la franchisé·e doit aussi compter sur un responsable local pour les nouveaux services, qui doit être formé », remarque Laurent Delafontaine.

Réussir son passage au phygityal

En un sens, la crise a poussé beaucoup de franchisé·es à se poser les bonnes questions et fait rentrer – un peu de force – nombre de réseaux dans les nouvelles façons de faire du commerce. « Le phygital n’est pas tout récent. On en parle déjà depuis un certain temps, sans vraiment s’y mettre, continue Sylvain Bartolomeu. Mais là, on est obligé d’y aller. » Cet aspect « obligé » risque de produire deux effets diamétralement opposés sur un réseau. Ainsi, dans beaucoup de franchises où le sujet était déjà sur la table, les projets n’avançaient pas souvent par manque d’urgence. La crise a levé ces réticences. « Pour beaucoup de franchisé·es, un site marchand générait la crainte d’une concurrence supplémentaire, renchérit Ludivine Bertrand. Mais aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que les deux types de commerce sont compatibles et indispensables. » Les opérations telles que le cliqué-retiré, l’e-réservation ou même la livraison vont servir la vente en magasin, par exemple en glissant un bon cadeau uniquement valable dans le point de vente dans le colis. Mais dans d’autres réseaux, où la gouvernance était moins claire, où le lien de confiance était un peu faible, la crise a plutôt eu tendance à faire rejaillir les intérêts individuels, et le réseau se trouve bloqué. En fait, l’état d’esprit d’avant-crise dans le réseau compte plus pour la réussite du projet que le secteur d’activité de l’enseigne… « Impliquer le réseau dans la réflexion a été, dans les projets préconfinements, la clé du succès », souligne Ludivine Bertrand. Les réseaux où les franchisé·es sont impliqué·es tôt dans le projet, sont écouté·es et où il existe déjà des moyens – typiquement grâce à une redevance communication – partent du bon pied. En temps normal, un tel projet – d’envergure – serait l’objet d’une commission, et la feuille de route serait élaborée conjointement avec les franchisé·es. Mais aujourd’hui, « compte tenu de l’état d’urgence, il peut être efficace pour une tête de réseau d’arriver avec une proposition déjà plutôt détaillée tout en restant, bien sûr, ouvert à la discussion, ce qui, en plus, a de quoi rassurer les franchisé·es en montrant que leur réseau prend des initiatives et est proactif », suggère Ludivine Bertrand. Et cette proactivité, en ce moment, est essentielle.

Jean-Marie Benoist

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