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Au deuxième trimestre, le pays a subi une baisse de 13,8 % du PIB. En parallèle, le taux de chômage a diminué. Ambiance schizophrénique.

Place au(x) diagnostic(s). En pleine rentrée, la France – bien qu’elle prétende vouloir amorcer la reprise et retrouver son monde d’antan au plus vite –, n’exclut pas un nouveau scénario catastrophe. À l’aube d’une potentielle nouvelle vague de contaminations au Sars-CoV-2, retour sur les conséquences de plus de deux mois de confinement qui ont déréglé l’économie française. Croissance, plans de soutien, chômage, relance… autopsie chiffrée de la France post-covid. Faut-il s’inquiéter ?

Une première. Le 17 mars, le gouvernement a fait le choix du confinement. Jusqu’au 11 mai, les Français.es se devaient de rester chez eux.elles, sauf motif(s) dérogatoire(s). Les entreprises, elles aussi, ont dû stopper net leur activité, du moins lorsqu’elle n’était pas perçue comme « essentielle ». En première ligne donc : la restauration, l’hôtellerie, l’événementiel… et bien d’autres. Renoncer à l’économie au profit de la santé. Un dilemme viable deux mois et demi. Puis le pays a tenté de rebondir à l’aide de multiples plans de relance sectoriels et de mesures d’accompagnement pour – d’abord maintenir à flot –, puis redynamiser l’activité. Quels enseignements tirer de cette crise sanitaire ? Face à tant de chiffres qui donnent le tournis, voilà ce qu’il faut retenir pour dresser le bilan de la situation économique du pays. Avec l’éclairage de Raul Sampognaro, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Une récession inévitable, pire que prévu ?

« Une crise sans précédent », avait annoncé le Fonds monétaire international (FMI). « Un chiffre sévère, mais moins sévère que prévu », plaidait de son côté le ministre de l’économie et des Finances, Bruno Le Maire. Difficile de s’y retrouver face à une vague soudaine d’interprétations d’un même constat. La France – fortement touchée par la covid-19 –, a vu son produit intérieur brut (PIB) fondre de 13,8 % au deuxième trimestre 2020 (Insee). Juste après avoir subi une perte de 5,9 % au premier. Plus évocateur sans doute, l’économiste Raul Sampognaro, lui, préfère caractériser ce deuxième trimestre par « un PIB inférieur de 19 % par rapport à l’année dernière ». Aucune fausse note lorsque l’on parle de récession. On y est.

Faut-il dramatiser pour autant ? Pas si sûr. Certes, la crise que nous vivons ne ressemble à aucune autre. D’un point de vue purement économique d’abord, puisqu’elle constitue à la fois « un choc d’offre, les salarié.es ne peuvent pas travailler, et un choc de demande », souligne Raul Sampognaro. Une réalité expliquée notamment par les mesures sanitaires prises par le gouvernement. Car bien entendu, « le PIB n’est pas le seul objectif de la politique publique », scande l’économiste, avant de faire remarquer la corrélation entre « la sévérité des restrictions sanitaires décidées et les pertes économiques au sein d’un pays ». Et à ce petit jeu-là, la France se retrouve dans le peloton de tête. Décisions radicales, répercussions économiques immodérées. De là à dire qu’il fallait suivre l’exemple suédois, séduit par le non-confinement de la population, le raccourci serait trop aisé.

Pour accompagner les entreprises : un mélange de PGE et de chômage partiel

Du côté des entreprises, il a rapidement fallu panser les plaies. Un des remèdes miracles proposés par l’état : les fameux prêts garantis. Afin de préserver la liquidité des sociétés les plus en difficulté – comprenez, entre autres, hôtellerie, restauration, événementiel –, le gouvernement a – au départ –, mis en place des prêts remboursables sur cinq ans (la durée serait en passe d’être étendue, voire les prêts devenir « participatifs », autrement dit une forme de quasi-fonds propres). Sur une enveloppe initiale de 300 milliards d’euros, « à peine » 120 milliards avaient été alloués fin juillet. Une sous-exploitation donc. Pour le moment, car les demandes de PGE pourront se déposer jusqu’au 31 décembre 2020. Avec une volonté manifeste du gouvernement de basculer plus tard vers des prêts de plus long terme.

Une stratégie viable ? Pour notre expert, la solution de maintenir les entreprises en vie grâce aux PGE s’avère « totalement efficace si l’épidémie s’arrête ». A contrario, « si l’épidémie redémarre, les pertes seront alors très importantes, on ne pourra sauver toutes les entreprises ». Là réside toute la difficulté. Nos plans de soutien ne se révèleront efficaces qu’a posteriori. Pour l’heure, l’efficience des politiques publiques reste soumise à l’incertitude de la crise sanitaire. Dont le scénario d’une nouvelle vague a clairement brisé la frontière de la fiction. À en croire les prévisions de l’OFCE – très hypothétiques elles aussi –, 2 % des entreprises pourraient faire faillite. Y compris les plus grandes, énième singularité de cette crise (comme l’a exprimé Philippe Darmayan, président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie – UIMM –, les grosses entreprises n’ont pas les reins si solides. L’industrie, partie avant-crise pour créer quelque 200 000 recrutements, estime le non-recrutement et les plans sociaux prévisibles dans une fourchette de 400 000 à 500 000 emplois). Enfin, l’État a également insisté sur la baisse des impôts de production de 10 milliards d’euros qui figurera dans le projet de loi de finances pour 2021, une mesure confirmée par Bruno Le Maire fin août.

Les ménages, eux, n’ont globalement pas pâti d’une baisse radicale de leur revenu – excluons les indépendant.es et salarié.es précaires comme les CDD –, une prouesse permise en grande partie par le dispositif de chômage partiel. Qui ne s’apparente en aucun cas à une révolution puisque le système existe depuis longtemps. Mais il a pris du poids ces dernières semaines, plus avantageux et moins hermétique. Quand, avant, les entreprises devaient respecter des critères bien précis et patienter longuement en vue d’un potentiel accord de chômage partiel, « durant la crise, les critères ont été largement assouplis et les dossiers accélérés », constate Sampognaro. Comme une nécessité de répondre à l’urgence.

Dès le 31 août, les salarié.es qui travaillent à domicile – notamment les assitant.es maternel.les –, ne pourront plus bénéficier de l’activité partielle. Le 1er octobre, les règles d’indemnisation se durciront, la prise en charge de ce qu’on peut appeler une socialisation du salaire passera ainsi de 84 à 72 %. Le retour au chômage partiel classique donc. Sauf pour le tourisme – dispositif avantageux jusqu’en fin d’année –, principale victime du fléau Sars-CoV-2. Une suspension par trop prématurée ? Pour Raul Sampognaro, spécialiste des finances publiques, il y a fort à parier que le gouvernement revienne « au dispositif généreux de l’activité partielle en cas de deuxième vague ». Pour rappel, les salarié.es atteint.es d’une pathologie (diabète, etc.) peuvent tout à fait demander le chômage partiel s’ils.elles justifient d’un certificat médical et se retrouvent dans l’impossibilité de télétravailler.

Près de 270 000 chômeurs en moins au deuxième trimestre 2020, paradoxal ?

Gare aux données en trompe-l’œil. Au premier chef, le taux de chômage. Lors du deuxième trimestre 2020, le nombre de chômeurs a reculé de 270 000 par rapport au premier trimestre. Une baisse d’environ 0,7 point, soit un taux de chômage qui s’établit à 7,1% (Insee). À plus rien n’y comprendre ! Forte récession et baisse du chômage, bel oxymore. Explication : le chômage tel qu’on le mesure obéit aux critères du Bureau international du Travail (BIT). Qui recense les personnes en recherche active d’un emploi, disponibles dans les quinze jours. Or, « ces normes comptables fonctionnent très mal durant cette période dans la mesure où la situation s’avère anormale », explique Raul Sampognaro. En réalité, « certain.es, au vu du contexte, n’ont pas entamé de démarches actives pour trouver un emploi et ont ainsi disparu » de la grille d’analyse. Nombre de chômeurs s’extirpent de l’étiquette d’actif.ives – car les chômeurs font partie de la population active –, pour rejoindre les inactif.ives. D’où la chute miracle.

En filigrane, difficile donc de dire que le chômage a baissé. Puisqu’en parallèle, « si l’on mesure la moyenne des heures travaillées pour les gens en emploi – normalement autour de 32 –, là c’est moins de 26 heures. Donc, oui, le volume d’emplois en France a chuté au premier semestre », corrige notre interlocuteur, particulièrement inquiet pour les jeunes qui ne bénéficient « d’aucun filet de sécurité pour l’emploi ». Pas sûr que l’aide de 4 000 euros proposée par l’État pour l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI ou CDD d’au moins trois mois suffise.

Que faire pour la relance ?

Dans la jungle des plans de relance sectoriels, avant l’arrivée d’un plan global de relance estimé à 100 milliards d’euros, la France a opté pour une succession de relances sectorielles. On se souvient des 15 milliards annoncés en juin pour sauver l’aéronautique ou encore des huit milliards afin de soulager l’automobile. Raul Sampognaro, lui, ne pense pas qu’un investissement massif dans les entreprises apparaisse comme le plus efficace. Il faudrait avant tout privilégier « l’investissement public comme les hôpitaux ou le fret ferroviaire pour qu’ensuite les retombées se ressentent dans le privé », analyse-t-il. Un projet qui n’irait pas dans le sens d’une réduction de la dette publique, prévue à hauteur de 120 % du PIB.
Toujours dans cette perspective de relance, notre nation aurait intérêt, selon l’économiste, à faire comme l’Allemagne, « baisser temporairement la TVA pour relancer la consommation », et ainsi remettre dans le circuit économique plus de 75 milliards d’euros épargnés par les ménages durant cette période de ronronnement économique. Du pain sur la planche.

Geoffrey Wetzel

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