Une ordonnance censée rééquilibrer la relation franchiseur-franchisé
Une ordonnance censée rééquilibrer la relation franchiseur-franchisé

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La lettre qui contredit l’esprit ?

La réforme du 1er octobre remettrait en cause la loi Doubin. Elle aurait aussi des conséquences sur la notion d’exécution imparfaite du contrat. Explications.

L’ordonnance a réécrit plus de 350 articles du Code civil dont la rédaction et l’articulation demeuraient inchangées depuis 1804. Elle constitue à ce titre une véritable révolution, même si son accueil par les spécialistes du droit de la distribution a été mitigé. Pour les experts de la profession, les avis divergent quant à son interprétation et ses conséquences : l’ordonnance étant soit considérée comme future nid à contentieux, soit comme une consolidation du droit positif, soit comme une démarche de compromis. Analyse.

Vraie-Fausse révolution ?

Rappelons que pour l’essentiel de ses dispositions, cette ordonnance est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurant soumis à la loi ancienne. De sorte que s’ouvre une longue période de conflit de lois dans le temps et tous les réseaux devront continuer de se développer en faisant coexister les « anciens » contrats avec ceux – nouveaux et y compris les avenants aux « anciens » contrats – conclus à partir du 1er  octobre 2016.  « Sans compter le rôle central donné au juge qui voit ses pouvoirs considérablement renforcés, avec un risque d’immixtion excessive dans la loi du contrat voulu par les parties et, partant, une incertitude juridique dont seul l’avenir dira si elle tournera à l’avantage des têtes de réseaux (franchiseurs, concédants, fournisseurs…) ou de leurs partenaires (franchisés, concessionnaires, distributeurs…) », souligne Rémi de Balmann, avocat à la Cour d’Appel de Paris (D, M & D).

Des nouveautés pour les réseaux ?

S’agissant d’abord de la formation du contrat, cette réforme a créé une obligation générale d’information pré-contractuelle, l’article 1112-1 du Code civil. Ce sera aux juges de dire comment ce nouvel article s’appliquera au droit de la distribution, étant observé qu’il a été soutenu, pour le compte des franchisés, que cet article 1112-1 du Code civil obligerait les franchiseurs à communiquer, au-delà des informations énumérées à l’article R. 330-1 du Code du commerce (issu de la loi Doubin). « Admettre qu’il faille aller au-delà des DIP classiques, tels qu’ils existent depuis 1991, reviendrait à considérer que tous les franchisés de ces 25 années écoulées, ne se seraient pas engagés en connaissance de cause ! Et ce nouvel article 1112-1 du Code civil ne saurait anéantir d’un trait de plume la jurisprudence constante de la Cour de Cassation qui n’a de cesse de rappeler qu’il n’appartient pas aux franchiseurs de fournir une étude de marché local, pas plus qu’un compte d’exploitation prévisionnel », note Rémi de Balmann

Ce que retient l’avocat, en revanche, c’est que naît une obligation nouvelle, à la charge cette fois des candidats franchisés. Ainsi, un franchiseur pourrait reprocher demain à un franchisé de lui avoir caché une récente condamnation pour mauvaise gestion ou un niveau d’endettement incompatible avec son projet. L’exigence de bonne foi n’est plus à sens unique, étant rappelé que l’article 1134 ancien du Code civil la cantonnait au seul stade de l’exécution du contrat alors que le nouvel article 1104 dispose désormais que les contrats doivent être non seulement « exécutés » mais aussi « négociés (et) formés de bonne foi ».

Quid de l’exécution des contrats ?

Plusieurs dispositions nouvelles sont tout à fait novatrices, comme celle introduite par l’article 1195 du Code civil. « Exit ainsi le fameux arrêt Canal de Craponne enseigné à des générations de juristes depuis 1876, la Cour de Cassation ayant toujours rejeté la possibilité pour le juge de réviser le contrat, même en cas de changement profond des circonstances affectant l’équilibre du contrat », commente Rémi de Balmann.

De même, le nouvel article 1223 du Code civil prévoit que « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais ». « Ces articles ne devraient toutefois pas conduire à un bouleversement total des réseaux, les franchisés devant assumer dès le départ l’éventualité d’un retournement de la conjoncture et les aléas économiques liés à tout projet de création d’un fonds de commerce, de même qu’ils ne sauraient tirer prétexte de l’article 1223 du Code civil pour exiger des franchiseurs une sorte d’obligation de résultat et se plaindre d’un manquement véniel pour alléguer une “exécution imparfaite” qui viendrait – selon eux – légitimer “une réduction proportionnelle du prix”. Le paiement des redevances doit ainsi ne pas être sujet à des fluctuations au gré des humeurs de tel ou tel franchisé », analyse Rémi de Balmann qui recommande aux franchiseurs d’écarter l’application de ces articles 1195 et 1223 du Code civil « qui n’ont qu’une valeur supplétive » et à énoncer désormais explicitement dans leurs contrats que les franchisés assument le risque d’un changement de circonstances imprévisibles, de même qu’ils renoncent à se plaindre d’une « exécution imparfaite » du contrat pour opérer « une réduction proportionnelle du prix ». En outre, les articles 1219 et 1220 du Code civil édictent qu’une partie « peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave » et « peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ». « Attention à ce que ces articles n’aient pas un effet dévastateur en étant abusivement invoqués par des franchisés qui en viendraient à systématiquement remettre en cause l’assistance du franchiseur, présentée comme insuffisante pour tenter d’éluder leurs obligations financières », met en garde Rémi de Balmann.

Geoffroy Framery

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