Comment rattraper l’année covid ?

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L’analyse en gris du délégué général de Procos

Sans surprise, l’année 2020 a été éprouvante pour le commerce spécialisé. Les premiers mois de 2021 n’incitent pas à l’optimisme. On dresse le bilan et la perspective 2021 avec Procos, la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé, forte de quelque 300 enseignes, 60 000 points de vente, 750 000 emplois.

Le contexte est connu : la France a accusé une récession inédite de 9 % en 2020 et un recul de la consommation des ménages estimé à 7 %. En première ligne des impacts des confinements successifs, le commerce spécialisé. Il termine l’année avec un déficit de 18 % chiffré par la fédération Procos.

Le Web, un faible supplétif

Il était logique que les ventes Web explosent : 30 %. La part du Web dans le chiffre d’affaires global a doublé sur l’année, de 6 à 12 %. De quoi ne compenser que faiblement les pertes de chiffre d’affaires dans les magasins : de 2 à 4 % selon les secteurs. « Cette donnée est importante car elle prouve bien que l’on donne aux ventes en ligne une importance qu’elle n’a pas », souligne Emmanuel Le Roch, le délégué général de la fédération. « La doxa ne jure que par le numérique. Certes, le digital a profondément modifié le comportement des consommateurs, mais c’est très loin de suffire à remplacer la vente physique. En réalité, le numérique exige beaucoup de moyens pour un effet positif très limité. En revanche, à terme, il rend mécaniquement le magasin moins attractif relativement à un support de ventes en ligne. » Un discours peu souvent tenu.

La beauté en enfer

Autre constat cette fois-ci plus intuitif : l’année 2020 s’est montrée très hétérogène, avec une frontière entre commerces « essentiels » et « non essentiels ». L’activité des commerces alimentaires a progressé de 2,5 % tandis que la grande partie des commerces spécialisés ont violemment chuté (-1 5 % pour la culture, -17 % en habillement, -22 % en parfumerie/beauté, -27 % pour la chaussure) avec cet « entre-deux » que sont les secteurs des jeux et jouets (-1,5 %) ou le bricolage, qui ont su tirer parti tant bien que mal de la situation. Le secteur des équipements de la maison (-8 % de ventes) a ainsi surperformé grâce à l’essor du télétravail puisque les Français·es ont cherché à embellir leur lieu de vie devenu aussi leur bureau. « Les gens se sont moins déplacés. Le shopping plaisir a disparu. Les consommateurs se rendent désormais dans une boutique dans un but précis. Ils ne procèdent plus à des achats supplémentaires coups de cœur », constate Emmanuel Le Roch.

Les centres-villes fragilisés

Ces 12 mois de crise en « W » ont rebattu les cartes du fonctionnement des commerces et remis les flux de fréquentation au centre du jeu. À Paris, dans les métropoles et les grands centres commerciaux, le développement du télétravail a fortement impacté les flux avec des conséquences sur la fréquentation des points de vente et des chiffres d’affaires en baisse de 30 à 40 % par rapport à l’avant-covid. Selon Procos, les commerçants des Champs-Élysées ont perdu de janvier à septembre 2020 51 % de leur chiffre d’affaires, ceux du Forum des Halles, toujours à Paris, 41 %. La baisse est de 47 % pour Les 4 Temps de la Défense et 39 % pour le boulevard Haussmann des grands magasins. « La situation de Paris et des grandes métropoles suscite mon inquiétude. Les grandes artères sont désertes. Je crains que le retour à la normale soit bien plus long que prévu. Il va falloir du temps pour convaincre les gens de retourner en boutique. Les touristes ne sont pas près de revenir et l’instauration du télétravail un à trois jours par semaine va inéluctablement peser sur les commerces et les restaurants. » Le Roch n’est pas tendre avec les chiffres.

Le reste va dans son sens : preuve du déclin du commerce, les grandes surfaces et les centres commerciaux qui abritent les petites boutiques n’ont demandé et obtenu l’an passé que la création de 763 211 nouveaux mètres carrés auprès des commissions d’aménagement commercial. C’est la moitié des projets de 2019. De plus, le stock de surfaces commerciales projetées à 5 ans par les promoteurs a poursuivi sa décrue pour atteindre un plus bas historique de 3,6 millions de mètres carrés.
La société de conseil dédiée à l’immobilier d’entreprise, Cushman & Wakefield, a constaté un net recul des ouvertures en 2020 : – 49 % par rapport à 2019 avec un total aux alentours de 330 000 m² inaugurés, en centres commerciaux et i.

Visibilité nulle

2021 a débuté sur la même tendance, avec un secteur de l’équipement de la maison plébiscité et l’équipement de la personne en grande difficulté. La situation du commerce spécialisé s’est aggravée avec le décalage des soldes d’hiver et la fermeture des centres commerciaux de plus 20 000 mètres carrés. Si l’on ajoute au bilan que les commerçants souffrent d’une absence totale de visibilité des dates de réouverture de ces sites…

La bonne nouvelle mitigée au milieu du marasme est que les commerçants des villes moyennes résistent mieux que ceux des grandes villes. Le télétravail est moindre dans les petites villes où les emplois sont davantage industriels et où la présence physique est nécessaire. En décembre, après le deuxième confinement et au moment de Noël, les ventes des zones commerciales de périphérie peuplées de moyennes surfaces ont rebondi de 15 % par rapport à 2019. Les centres-villes n’ont gagné que 3 % et les centres commerciaux 6 %.

Procos le constate néanmoins : les villes moyennes, même si elles ont bénéficié d’un gain d’attractivité pendant la pandémie, ne sont pas pour autant à l’abri des défaillances et du développement du taux de vacance, en particulier dans les centres-villes.

À court terme, la fédération du commerce spécialisé demande au gouvernement d’aider les entreprises de toutes tailles avec la prise en compte des frais fixes à hauteur de 70 % sans plafond, le report automatique des PGE et la mise en place des prêts participatifs pour toutes les entreprises.

Les bailleurs doivent s’adapter au plus vite

Il faut surtout que les coûts d’exploitation des boutiques s’adaptent rapidement. Faute de quoi, la casse risque de s’amplifier. Les indépendants aux loyers trop élevés ne vont sans doute pas se relever. Certaines chaînes devront établir des arbitrages ou se restructurer. Car si les mesures de soutien de l’État sont plutôt bien calibrées pour les petites sociétés qui ne dépassent pas le million d’euros de chiffre d’affaires par mois, elles ne sont pas suffisantes pour les chaînes qui comptent des dizaines de boutiques en raison de seuils d’effectifs et de plafond d’aides, notamment celui de 200 000 euros d’aide maximum par mois.
« Dès lors, soit les propriétaires accepteront de baisser significativement les loyers au moins provisoirement, soit ils vont faire face à des faillites, ce qui serait néfaste pour tous. Je ne souhaite pas que la baisse inéluctable des loyers soit causée par le déséquilibre entre une offre de baux à céder abondante en raison des faillites et une demande affaiblie par les effets de la pandémie. Mais si les adaptations de coûts d’exploitation ne sont pas mises en œuvre, c’est ce qui arrivera », prévient Emmanuel Le Roch.

Omnicanalité, passage obligé

La distribution « omnicanal » a révélé toute son importance. Pendant le confinement, les entreprises présentes sur le Net ont continué à vendre. Aucune entreprise ne doit plus se passer de ce canal de ventes. Il est impératif de développer la livraison et le click and collect. Pour achever leur modernisation, les commerçants devront investir quelque 5 % de leur chiffre d’affaires par an pendant encore plusieurs années, estime Procos. N’est-ce pas contradictoire avec le doute du délégué général à l’encontre du numérique ? « Le numérique est surtout une vitrine nécessaire qui donne aux consommateurs l’envie d’acheter, qui conserve le contact permanent avec eux. Mais les enseignes traditionnelles ne se transformeront pas en Amazon. Je note d’ailleurs que cette crise a montré que les Français·es tenaient au commerce de proximité. Et puis je suis persuadé que les gens apprécient de se rendre en boutique, de flâner de l’une et l’autre. Mais cette dynamique normale du commerce n’est pas pour demain. Quand les boutiques rouvriront sans crainte, les consommateurs seront au rendez-vous », se rassure Emmanuel Le Roch.

Sa recommandation aux futur·es franchisé·es : qu’ils·elles profitent à plein des ressources offertes par les franchiseurs en termes de ressources numériques, de marketing. Tout repose sur l’expérience, le savoir-faire, la logistique, la bureautique de la tête de réseau. Un discours commun avec Véronique Discours-Buhot, son homologue de la Fédération française de la franchise.

Pierre-Jean Lepagnot

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