L’innovation dans les réseaux, entre flexibilité et uniformité

« Oui effectivement, une procédure est prévue pour le franchisé qui veut innover dans son coin et s’éloigner du concept originel… »
« Oui effectivement, une procédure est prévue pour le franchisé qui veut innover dans son coin et s’éloigner du concept originel… »

Temps de lecture estimé : 6 minutes

« Flexiuniformité »

Maintenir l’uniformité du concept tout en s’ouvrant aux adaptations et innovations. Les réseaux qui trouveront la recette magique seront les plus pérennes…

Les centres de traitement anti-poux Bye Bye Nits ont de beaux jours devant eux à cause d’une recrudescence des parasites ; mais aussi grâce à l’exclusivité obtenue pour l’utilisation de la machine américaine Airallé qui aspire les poux. Seulement, « le marché n’existait pas en France et nous ne connaissions pas le monde de la franchise, confesse Arno Bitan, responsable du développement. Chaque franchisé devait aussi reverser des royalties aux Etats-Unis pour l’utilisation de la machine. Les incertitudes étaient multiples et nous n’avons pas lésiné sur les tableaux de calcul et les simulations afin de trouver l’équilibre entre rentabilité des franchisés et rémunération de la tête de réseau ». L’apprentissage des réseaux confrontés au terrain est continu. Le concept ne peut se trouver figé dès le départ alors que les environnements et habitudes diffèrent entre chaque point de vente. Etre capable de s’adapter au contexte tout en conservant une nécessaire cohérence de l’expérience client relève de la gageure. Entre souplesse et rigidité, le métier de franchiseur nécessite une finesse quotidienne.

Un besoin d’homogénéité vital

Un nouveau franchiseur, même s’il est doté d’un esprit collaboratif, doit vite apprendre à lutter pour conserver une véritable homogénéité. La famille Grandgérard à Dijon a vite intégré ce principe en créant l’enseigne de coffee shop Miss Cookies Coffee. Cette activité de restauration rapide et plus précisément de barista, avec une carte moderne de 300 produits en quatre familles – sucré, salé, boissons chaudes et boissons froides, pour attirer des clients toute la journée – ne s’est pas révélée facilement « duplicable ». « Dès le début nous avons voulu ouvrir une franchise et aller à l’international, ce qui a exigé une cohérence dans les points de vente mais aussi le choix des candidats, l’accompagnement des projets, le suivi de chantier, les conseils donnés, l’ensemble des documents et des informations délivré avant et après ouverture », énumère Pierre Grandgérard en charge du développement. Lequel se souvient du tableau de 200 tâches, annotées par le cabinet de consultants : « franchisable », « à améliorer »… « Rien ne doit être négligé pour prétendre à l’homogénéité, de la couleur des stylos en passant par la hauteur des prises de courant ou la présentation des cookies, jusqu’à la gestion du personnel ou aux  normes d’hygiène », ajoute le cofondateur qui a vite compté 4 000 pages de manuel opératoire ! Aujourd’hui tout futur franchisé est soumis à un rétroplanning de lancement qui comporte 2 000 étapes à valider page après page, 280 jours avant l’ouverture. Si les dirigeants ne voient pas d’un bon œil diverses extensions-adaptations-diversifications des franchisés, c’est bien parce que le respect du concept est ce qui permet de maintenir une cohérence de la marque attendue par le client. Le risque pour nombre de réseaux est de partir dans tous les sens et de perdre toute crédibilité à l’échelle du territoire. A quoi servirait au client de s’en référer à une même marque où qu’il soit, si le degré de prestation qu’il connaît n’est pas garanti ? « La plupart du temps les franchisés respectent le manuel opératoire, étant d’ailleurs bornés juridiquement. Mais ils sont avant tout des entrepreneurs autonomes et peuvent prendre quelques libertés », observe Julien Siouffi chez Franchise Marketing Factory. Lequel a pu déplorer quelques sorties de route : « nombre de franchiseurs ont déjà vu un membre de leur réseau prendre un mauvais chemin, sans pouvoir intervenir à cause du risque d’ingérence ».

Quelques concessions face au terrain

Tout n’est pas aussi simple cependant, ne pas laisser une tête dépasser n’est pas forcément la solution parfaite. Phood est une chaîne de restaurants vietnamiens qui a dû, en se confrontant à la réalité, dévier de ce qui était initialement prévu sur le papier. « Après la première visite nous lui avons fait remarquer que le décor pouvait être amélioré. Il ne générait pas l’effet « waouh » d’une enseigne se voulant nationale », se souvient Laurent Delafontaine, dirigeant du cabinet de conseil Axe Réseaux. Le concept a en fait été largement modernisé. « La carte, les vêtements, les uniformes, la charte graphique, la PLV… ont été revus, mais aussi les outils de qualification des candidats, l’accompagnement des franchisés au début, le mode de contrat encadrant la relation… », se souvient le fondateur Benjamin Fetu. Il importe de s’adapter aux goûts des consommateurs sans se laisser enfermer dans un concept initial. En outre les personnalités, compétences et zones de chalandises des franchisés étant variées, mieux vaut leur laisser un certain degré de latitude pour s’adapter. Il est impossible d’uniformiser leurs comportements. « Certains vont monter le business en couple, d’autres en s’associant à plusieurs, d’autres seuls. Forcément les façons de travailler et les problématiques rencontrées seront dissemblables », concède Julien Siouffi.  Chaque région a ses particularismes, chaque emplacement ses caractéristiques. L’homogénéité de l’expérience client n’est pas incompatible avec une adaptation à l’environnement. Ouvrir dans une ville au bord de la mer ou dans un bourg à la montagne n’implique pas la même population et le même pouvoir d’achat. « Si le franchisé a plutôt tendance à respecter à la lettre le concept dans une zone prospère économiquement, celui qui ouvre sur un territoire en difficulté s’adapte et cherche de nouveaux moyens pour se démarquer. Ainsi chez McDonald’s, le McFish a été inventé par un franchisé situé dans une bourgade très chrétienne où personne ne mangeait de viande le vendredi », illustre Julien Siouffi. Les facteurs d’incertitude étant parfois nombreux, les réseaux doivent trouver le moyen de s’acclimater sans perdre leur âme. « Au départ, nous avions même des interrogations quant à l’existence ou non du marché en France. En Espagne ou en Allemagne les centres de soins sont pléthoriques, mais il subsiste dans l’Hexagone un certain tabou concernant les poux. Les gens achètent honteusement les produits en pharmacies et administrent les soins capillaires chez eux, à l’abri des regards. Il n’était donc pas sûr qu’ils se rendent ouvertement dans les centres », se remémore Arno Bitan, responsable du développement chez Bye Bye Nits. Très vite il s’est avéré que le savoir-faire se situait dans l’accueil des enfants – ateliers dessins, jeux, dessins animés… et dans le suivi du traitement. Ce qui a conduit à une évolution, notamment dans le sourcing de candidats. « Nous avons plutôt recherché des femmes, chaleureuses, passées par la coiffure pour appréhender de manière fluide les cheveux. Mais les profils d’investisseurs qui sont passés par l’esthétique ou l’épilation ont aussi largement eu leur place », distingue le responsable du développement. Des choix qui ont dû être accomplis après le lancement, en tirant des leçons de l’environnement et en faisant preuve de flexibilité.

Un souffle à entretenir pour innover

Une bonne franchise se distingue donc dans sa capacité à faire respecter son concept tout en acceptant les disparités des profils et territoires. Un exercice de funambule, plus facile à décrire qu’à exécuter, néanmoins indispensable  face au client d’aujourd’hui, toujours en quête d’une sécurité de service et dans le même temps d’une prestation personnalisée, adaptée au contexte. Le respect des différences et les concessions sur le concept peuvent servir le réseau et – pour faire d’une pierre deux coups – faciliter le bon relationnel entre franchiseur et franchisés – à condition évidemment qu’ils soient limités. Il revient en fait à l’animateur, proche du terrain, de fixer les limites. Celui-ci doit s’efforcer de faire remonter les bonnes idées et de corriger les mauvaises pratiques qu’il peut identifier en priorité. En contact régulier avec le franchisé, témoin privilégié des tensions ou au contraire des réussites, c’est lui qui fait remonter l’information si vitale. Un candidat serait bien avisé de se renseigner précisément sur l’animation d’un réseau qu’il a ciblé, car il traduit le degré d’accompagnement mais aussi d’attention à ce que les franchisés entreprennent, de R&D pour faire évoluer le concept. « Ce n’est pas son premier critère de sélection généralement et c’est une erreur. Il va plus s’intéresser au concept, au métier, à la tendance du secteur, à l’équipe dirigeante. C’est en demandant du retour d’expérience aux franchisés qu’il va découvrir ce point-là, qui est en définitive fondamental », constatait un recruteur à Franchise Expo. L’animation n’est pas que de la surveillance, c’est aussi un moyen de communiquer en interne. Des plateformes collaboratives peuvent par exemple permettre aux franchisés de partager leurs expériences, des réunions régionales ou nationales peuvent donner lieu à un benchmark instructif et un ajustement du concept sur celui qui a trouvé la clé permettant de mieux répondre à la demande. « Le but d’une bonne animation consiste finalement à mettre en place l’ingénierie réseau avec les bons organes de dialogue et de communication pour faire évoluer l’ensemble », résume  Nicolas Hurtiger, président fondateur de Senior Compagnie qui assure un service d’aide aux personnes âgées. Les réseaux qui allouent un animateur pour 20 franchisés peuvent être classés dans les plus attentifs quand d’autres se cantonnent au 1 pour 40. Certains mixent animation et partage d’expérience en facilitant la force de proposition des franchisés inventifs. Bien-sûr, des responsables d’enseignes organisent des rassemblements régionaux de franchisés, des réunions de commissions thématiques (marketing, juridique, produits…) et des conventions nationales, mais certains vont plus loin en nommant des franchisés porteurs du projet qu’ils proposent. « Ils expérimentent alors, en compagnie du franchiseur, puis si l’innovation produit les résultats escomptés, elle est étendue au réseau dans son ensemble », relate Philippe Dassié, fondateur du cabinet de conseil Franchise Connexion. Un état d’esprit auxquels adhèrent plus facilement la génération Y et les digital natives : « plus d’IT, de collaboratif consultatif, de quête de sens et moins de coercition », résume Nicolas Hurtiger.

Trier le bon grain de l’ivraie

On l’aura compris, il existe une hétérogénéité enrichissante et une autre destructrice. Il s’agit de bien placer le curseur en étant proche du terrain pour laisser la porte ouverte à l’innovation locale, si vitale au réseau toujours menacé de rester trop figé. Le franchiseur à un équilibre à trouver car il est le maître à bord et détient le savoir-faire ; mais il doit permettre aux franchisés d’apporter leur expérience. « Etre à l’écoute du réseau, répondre aux besoins et en même temps faire preuve d’autorité vis-à-vis de franchisés qui pourraient nuire à l’image, n’appliquent pas les méthodes et les évolutions… Le fil est ténu car il existe un risque dans les deux sens : être trop dictatorial – « je détiens et vous appliquez » – et être trop collaboratif », conclut Philippe Dassié.

Julien Tarby

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité