L’avenir des centres-villes

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Repenser le centre-ville comme une agora

Comment rebattre habilement les cartes pour espérer redynamiser nombre de centres-villes ? Parole aux experts qui plaident en faveur d’un retour à la proximité dans son sens noble.

Penser l’avenir des centre-villes, c’est penser les transports, l’urbanisme, la culture, la vie économique, le logement, le budget, la fiscalité des collectivités … « L’avenir des centres-villes va devenir une cause nationale. C’est un vrai sujet profond d’urbanisme et de choix social. Les centres-villes ont besoin d’être regardés par un angle plus large que celui du commerce qui est un outil parmi d’autres pour mailler le territoire et le rendre plus attractif », déclare Laurent Kruch, président et fondateur de Territoires & Marketing, cabinet conseil spécialisé dans le géomarketing, les études de marché et les études d’implantations et membre du collège des experts de la FFF (fédération française de la franchise) Et Eric Plat, président de la FCA (Fédération du commerce associé) et PDG d’Atol de poursuivre : « Accessibilité, habitabilité, commercialité incarnent le trépied sur lequel repose l’attractivité des territoires. »

Disparités nationales : à chaque ville son scénario ?

Le commerce en centre-ville diminue dans son ensemble d’après les dernières études sérieuses menées à ce sujet. Mais les destins semblent bien différents d’une aire urbaine à une autre. Eric Plat, président de la FCA abonde : « Nous constatons aujourd’hui qu’il existe au moins deux types de centre-villes d’après nos études, ceux des villes de moins de 50 000 habitants qui se caractérisent par des taux de vacance de 10% voire de 30% pour les centres-villes les plus modestes et les centres-villes de plus de 50 000 habitant qui résistent voire se redynamisent.»

Malgré ce premier constat, le commerce demeure prépondérant en centre-ville dans les secteurs de l’équipement à personne, des agences de voyages, de l’immobilier et des débits de boissons. Même tendance pour les magasins de technologies de l’information et de la communication dont le nombre grimpe en flèche. Par ailleurs, les secteurs gourmands en espaces tels que l’équipement de la maison, le sport et les jouets et surtout les commerces du quotidien (boulangeries, boucheries-charcuteries, pharmacies…) quittent de plus en plus les centres-villes. Certains secteurs sont mi-figue mi-raison. La restauration par exemple, se développe autant en centre-ville qu’en périphérie.

En outre,l’étude intitulée  « Les entreprises de France » publiée  par l’INSEE en 2016 ainsi que le rapport de l’Inspection général des finances et du Conseil général de l’environnement, publié la même année, tirent dans le même sens et établissent différents scénarios selon la taille des zones géographiques concernées. Premier clivage, celui du centre versus la périphérie : si le nombre de magasins et l’emploi salarié diminuent légèrement dans les pôles commerçants de centre-villes, ils sont beaucoup plus dynamiques hors des centres-villes. La baisse se chiffre à hauteur de 1% pour l’emploi salarié en centre-ville entre 2004 et 2014 contre une augmentation de 14% pour l’emploi dans les commerces hors centre-ville. En 2014, les pôles commerçants de centre-ville regroupent un tiers des magasins et un quart de l’emploi salarié du commerce dans les aires urbaines de plus de 20 000 habitants.  dans les aires urbaines de plus de 500 000 habitants hors Paris, l’emploi salarié dans les commerces de centre-ville progresse de 5% ; il diminue dans les aires urbaines plus petites. Et la baisse la plus forte concerne les aires urbaines de taille moyenne.

Pensez la mobilité et l’accessibilité en fonction du dynamisme économique

Depuis quelques années, les start-up de la mobilité se multiplient dans les centres-villes et dans certains espaces clos publics des métropoles françaises : Navya et ses navettes indépendantes, Gobee Bike et ses vélos en libre accès (avant leur retrait en raison du vandalisme), Totem Mobi avec ses Renault Tweezy en location à bas coût… Pour le chaland, ces solutions sont souvent commodes et pratiques pour se rendre à une expo ou boire un verre, voire acheter les pâtisseries préférées de sa grand-mère mais le plein de courses hebdomadaire ou l’achat de la bibliothèque se réaliseront en voiture souvent en périphérie de la ville. « L’un des vrais problèmes pour les centres-villes, c’est la voiture. Et la voiture pour les centres-villes, c’est comme le tabac pour le fumeur, on doit s’en passer mais cela reste difficile de faire autrement. D’autant que pour trouver des solutions à la question de la mobilité à l’aune du développement durable, le choix est souvent fait entre transporter des personnes ou des objets. Généralement, toutes les solutions en France sont des situations payantes et coûteuses pour le chaland », constate Laurent Kruch. Evoquer l’avenir des centres-villes est un problème politique au sens de la vie de la cité. Il semble impossible de développer commercialement les centres-villes si on continue à les opposer à leurs concurrents des périphéries. D’abord parce que les édiles qui souhaitent redynamiser leur tissu économique de centre ville doivent réaliser de la programmation commerciale et faire valoir leur droit de préemption pour dynamiser et diversifier la vie commerçante comme cela se fait dans les centres commerciaux. Par ailleurs, Les outlets et les retail parks sont désormais des espaces conçus pour y trouver du ludique, du culturel voire du sportif dans des zones géographiques beaucoup moins contraintes que les centres-villes avec un système de parking gratuit. Paradoxalement, le centre-ville, lieu de vie par excellence est également concurrencé sur son offre de loisir et de culture. Ajoutez à cela une concurrence très rude d’un point de vue commercial. « Les centres-villes ne peuvent vivre sans commerces. Et les commerces ne peuvent pas se passer de culture et de loisir. La gratuité des parkings devrait être spontanée car plus votre place de parking est chère plus votre centre-ville sera sous tension. C’est le cas par exemple du centre de Saint-Germain en Laye qui possède la réputation d’un centre commercial à ciel ouvert avec ses 800 commerces de proximité mais dont les commerçants disent perdre des clients. La première raison c’est bel et bien le coût pour se garer en centre-ville. Le tout vélo, c’est certainement une bonne idée pour les déplacements mais c’est une très mauvaise idée pour le commerce », argue Laurent Kruch. Selon l’expert, la mise en place de tramways aurait été une opération plutôt réussie. « Ce nouveau réseau de transports a permis à des personnes situées en bordure des villes d’accéder au centre. Certes, leurs revenus sont plus faibles mais cela a permis un drainage important. Et les réussites se constatent à Limoges, le Mans, Bordeaux ou encore Montpellier, même si la transition fut compliqué pour les commerçants », note le président de Territoires et Marketing. Eric Plat lui préfère pointer la problématique de l’accessibilité des centres-villes : « A l’impossible nul n’est tenu. Certaines villes doivent repenser leur centre sous peine de se paupériser. Et l’un des principaux chantiers demeure l’accessibilité aux services pour tous. Et augmenter la commercialité d’un secteur passe également par un adapter les zones de chalandises au trafic souhaité. Il faut une homothétie parfaite entre centre et périphérie avec des liaisons parfaites pour que les commerces puissent se développer de part et d’autre. »

Des forces structurelles à faire fructifier avec les réseaux

D’après l’Insee, plusieurs facteurs concourent à accroître le dynamisme des villes. Au premier rang, le patrimoine architectural, l’activité touristique et le niveau de vie de leur population jouent un rôle fondamental dans l’accroissement du poids du commerce en centre-ville. Cette diversité n’est pas que l’apanage des infrastructures, elle est également un prérequis dans le type de population qui fréquente le centre-ville. « Nous assistons aussi à une désertification des centres-villes en raison de la montée des loyers. Or, si l’on ne crée pas de pluralité d’acheteurs potentiels et de chalands, il est certains que les centres-villes vont continuer à souffrir. La place de la franchise est évidente dans la redynamisation : les commerces en réseaux dégagent plus de chiffres et plus de trafic, et c’est en cela qu’il faut promouvoir ce modèle mais cela  reste permis si les loyers ne sont pas exorbitants. Souvent, on constate que les têtes de réseaux vont installer des succursales qui n’auront pas le même dynamisme mais qui de fait pourront supporter plus facilement les conditions d’exploitation », exprime Laurent Kruch. Un cercle vicieux se met dès lors en place : « Il existe quatre niveaux. Le commerce indépendant est celui qui souffre le plus. Ensuite vient le franchisé, la succursale et enfin les institutionnels, circonscrit Laurent Kruch. Deux tendances néfastes sont ainsi à l’oeuvre dans certains centre-villes, d’une part, l’augmentation des loyers qui signifie l’installation d’institutionnels et une réduction de la mobilité qui mécaniquement fait baisser le nombre de chalands.»

Ajoutez à ces conditions, un système de droit au bail et de vente du pas de porte des institutionnels qui crée une surenchère des loyers et vous comprenez mieux pourquoi la Poste possède en général de très bon emplacements, tout comme les agences bancaires… « Le droit de préemption est donc essentiel pour les mairies afin de freiner les activités ou commerce non désirés. En revanche elles doivent créer du dynamisme économique et faire de la programmation commerciale pour aboutir à une typologie bien pensée des commerces et services », ajoute Laurent Kruch.

Les arbitrages sont souvent délicats. Tout le monde s’accorde pour affirmer qu’une rue uniquement remplie de coiffeurs ou de vendeurs d’attrape-touristes n’est pas le choix à suivre. La performance économique du point de vente franchisé permet encore à ces indépendants sous enseigne à prétendre au centre-ville. « Une des issues du commerce en centre-ville, c’est le recours à la franchise, avec sa capacité de trafic et d’attraction. Et sur quel concept choisir, il faut vraiment se demander qui est le diable. Est-ce le fait de faire venir une locomotive comme McDonald’s est à blâmer ou faut-il davantage le développements des institutionnels ? Il semble opportun de trouver le bon équilibre entre les métiers traditionnels et les grosses locomotives », complète le fondateur de Territoires et Marketing.  Eric Plat conclut : « le dynamisme des centres passe également par sa rénovation au sens large y compris de ses métiers traditionnels. Si la mairie ou la CCI ne jouent pas leur rôle, les commerçant perdent en attractivité. Exemple à Dax, où les boutiques ont la même façade et pas de machine à carte bleue à l’heure où l’offre Apple Pay se développe dans les commerce de proximité. La FCA joue entre autres ce rôle de formateur pour ses adhérents ». Autant d’arguments qui nous font croire que le destin des centres ne peut pas se dissocier de celui des réseaux.

Geoffroy Framery

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