La franchise en duo

« Le pacte d’associés ? Oui oui, nous l’avons négocié dans les règles de l’art »
« Le pacte d’associés ? Oui oui, nous l’avons négocié dans les règles de l’art »

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Prendre les rênes d’une entreprise en tandem. Un choix qui rencontre plus de succès lorsqu’on devient franchisé. Reste à limiter les indéniables risques humains…

« Le pacte d’associés ? Oui oui, nous l’avons négocié dans les règles de l’art »
« Le pacte d’associés ? Oui oui, nous l’avons négocié dans les règles de l’art »

Entre amants, amis, anciens collègues ou famille… Peu importe. L’aventure de la franchise peut s’envisager à deux. Comment répartir les rôles, faire preuve d’aplomb sur le devant de la scène avec la clientèle et gérer les coulisses ? La manière de procéder exige de choisir le bon partenaire et de concilier vies privée et professionnelle plus que dans toute autre circonstance. L’entente est alors un facteur de réussite, aussi décisif que le respect du savoir-faire et l’investissement personnel et financier. Une profession de foi entrepreneuriale à deux, où le franchiseur officie.

Entre interdépendance et dualité

« Créer en couple semble plus facile sur le papier, mais c’est vivre 24h/24h à deux. Le franchisé qui fait ce choix doit être sûr de la solidité de son couple », remarque Christophe Bellet, dirigeant de Gagner en Franchise et membre du collège des experts de la FFF. Relation fusionnelle certes, mais avec les pieds sur terre! L’heure est au pragmatisme. La complémentarité doit primer sur tout, même si le terme semble aujourd’hui bien galvaudé, qu’il s’agisse de relation amoureuse ou professionnelle. Le monde de la franchise, lui non plus, ne déroge pas à la règle. Jouir d’une indépendance professionnelle, partagée en franchise, amène à se poser l’éternelle question du « qui fait quoi ?». En d’autre termes, partir à plusieurs en franchise peut présenter plus de risques qu’en solo. D’abord parce que l’on ignore comment va évoluer la situation dans le temps, avec des contrats de franchise d’une durée de cinq à sept ans en moyenne. « Quel positionnement adopter dans la gestion de l’entreprise, tout en tirant profit de la complémentarité des profils dans les aspects techniques, comptables, la relation client, le management des salariés, le développement commercial… ? », interroge Rozenn Périgot, titulaire de la chaire franchise et commerce en réseau à l’IGR-IAE de Rennes. La situation évolutive dans le temps, peut engendrer parfois une redistribution des rôles. Gare toutefois à l’associé nourrissant le sentiment d’être lésé dans ses responsabilités, et dans sa façon de manager les salariés. Même précaution à prendre dans les rapports avec le franchiseur, pour éviter l’impression désagréable chez l’un des deux associés d’être jugé par contumace si l’un des deux traite davantage avec la tête de réseau en cas de désaccord. « Transparence et anticipation sont les maîtres-mots, lance Rozenn Périgot. Tout est une question d’équilibre, d’écoute et de respect dans la répartition et l’exécution des tâches de gestion ». Ainsi importe-t-il que chacun soit entendu. Décider d’un commun accord de l’interlocuteur privilégié, porte-parole de la cogérance, semble tout indiqué. « En matière de répartition des tâches, nous sommes neuf au sein du magasin. Ma conjointe gère la partie administrative mais peut aussi aider en caisse ou assurer la réception des livraisons. De mon côté, je me charge de la gestion du magasin et du management de l’équipe, pour assurer le développement de ses compétences », illustre Ludovic Osberger, franchisé Weldom. La complémentarité n’est toutefois pas seulement question d’aptitudes et de compétences, elle peut l’être aussi en matière d’amplitude horaires. La flexibilité qu’induit l’association entre deux partenaires autorise une gestion plus aisée des emplois du temps, ce qui n’est pas sans déplaire à certaines enseignes dont le mode de fonctionnement induit des heures d’ouverture trop lourdes à supporter seul.

Quelle type de gouvernance ; 1+1=1 ?

Le montage en franchise n’élude bien évidemment pas les questions classiques de la création et de la reprise d’entreprise. « Il faut veiller attentivement à la répartition des parts sociales, des dividendes et des salaires », note Stéphanie Cinati Di Fusco, responsable national marché franchise et commerce associé chez In Extenso, regroupement de cabinets d’expertise comptable. Cette association peut aussi amener à gérer plusieurs points d’enseigne en même temps, dans la logique d’un multi-franchisage où chaque personne contracte avec le franchiseur pour devenir gérant d’une seule unité, même si l’ensemble sera regroupé derrière une seule et même personne morale. « Dans les faits, la SARL couvre une très large majorité de franchisés car la forme, bien connue et peu coûteuse, correspond le mieux à la formule de 2-3 associés. On est rarement sur de plus grosses associations », note Me Laurence Vernay, avocat associée au cabinet Saje. Et dans bien des cas, un pacte d’associés sera signé pour gérer les éventuels dérives ou imprévus : définition des rôles et compétences de chacun, règles en cas de séparation… « On va souvent avoir le cas de figure qui présente un actionnaire majoritaire à 51% et un minoritaire qui bénéficie du statut salarié, avec les avantages liés à la retraite, les arrêts et le chômage », constate Stéphanie Cinati di Fusco. Le cas se vérifie, entre autres, avec Ludovic Osberger, gérant mais dont la conjointe a racheté une part pour faciliter les démarches de cession ou de reprise en cas d’accident.

Le franchiseur passe pour l’apéro

De fait, la mise en place d’un couple d’entrepreneurs comprend sur le plan humain la recherche d’un consensus qui concilie intimement les sphères privées et professionnelles.  Cette raison explique d’ailleurs pourquoi les couples divorcent moins dans ce cas de figure. La franchise est à considérer bien plus pour le meilleur que pour le pire. Et la gestion de la boite comme thérapie et métronome du couple. Ces nombreux motifs poussent certaines enseignes à jouer le jeu du tandem et à leur faire les yeux doux. En particulier dans les domaines de l’artisanat, de la restauration ou de la fleur par exemple. Les enseignes apprécient également les couples dans leur manière extrêmement bien rodée de monter leur projet. Nombre de projets en couple présentent ainsi un dossier prenant en compte chaque aspect de la franchise, en y incluant les répercussions sur leur vie privée. Un plus qui ne saurait déplaire à la tête de réseau. Toutefois, les contreparties existent. Et l’intimité dans ce qu’elle peut dévoiler à la sphère professionnelle, est passée aux cribles des exigences de la tête de réseau. Ce faisant, le franchiseur s’enquiert systématiquement de la solidité du couple. Pas question de donner les clefs d’une enseigne à une aventure sans lendemain. La tête de réseau posera aussi la question de la durée de l’engagement de chacun. « Le contexte familial doit être abordé avec le franchiseur. L’un des premiers facteurs d’échec ? Ce sont les accidents de la vie, à l’image d’un déménagement dont les impacts sur la famille n’ont pas été anticipés, ou encore un possible désaccord du conjoint sur la participation dans le projet. Des interrogations à soulever avant de décider de créer ou reprendre. Il faut que l’ensemble de la famille soit partie prenante. Cela semble évident, mais demeure une des premières sources d’échec », exprime Christine Molin, responsable du pôle franchise et commerce associé chez LCL. Il n’est donc pas rare que les franchiseurs organisent une rencontre à même le domicile du futur franchisé. La rencontre peut donc faire partie du process de recrutement, en particulier dans des franchises qui nécessitent des investissements lourds ou de larges amplitudes horaires en matière d’heures de travail. « Chez Weldom, on pose la question du montage en couple ou non lors de la commission avant agrément. Mais c’est une question à laquelle je n’ai pas su répondre. Ma conjointe a décidé de se joindre au projet une fois seulement l’agrément accordé », témoigne Ludovic Osberger. Toutefois, l’instauration de ce dialogue autorise les candidats à questionner le franchiseur sur le succès de couples ou d’associés dans la réitération du savoir-faire sous sa bannière. « Il est ainsi plus prudent d’être sur une enseigne mature, avec un process élaboré de recrutement, qui anticipe mieux les facteurs d’échecs », souligne Christine Molin.

Un risque financier supplémentaire ?

Notons que créer ou reprendre à deux ne signifie pas obligatoirement plus de facilité en matière de financement. Entre deux associés, peut-être sera-t-il plus facile d’emprunter pour que le risque ne repose pas sur les épaules d’un même foyer. Mais dans le cas d’un couple, la situation est plus sensible car chacune des deux personnes renonce à son emploi précédent. Le projet doit donc assurer une rentabilité rapide, les ressources du foyer dépendant directement du succès du projet. Plus difficile alors sans garde-fou financier ? « On va regarder s’ils sont propriétaires, la situation familiale, l’âge des enfants, tous les facteurs qui risquent de mettre en péril l’affaire. D’autant qu’en cas de succès rapide, l’entreprise peut nécessiter un besoin en fonds de roulement plus important. Tout comme dans le cas inverse », précise Christine Molin. Fort heureusement, rien n’est gravé dans le marbre, même en matière de financement, en attestent les propos de Ludovic Osberger : « mon expérience en tant que directeur d’un magasin en propre, mais aussi une bonne connaissance du métier et de la marque, ont sans doute convaincu les banques bien que nous cessions tous les deux notre activité salariée avec trois enfants âgés de deux à neuf ans. Mon dossier a été accepté avec 18% du fonds de commerce, alors qu’initialement les banques en exigeaient 25% ».

Quid de l’intuitu personae et de la formation à deux ?

La signature du contrat intuitu personae et la formation proposée par la tête de réseau incarnent les deux éléments différenciant la franchise du monde de l’entrepreneuriat classique. Sur le plan du contrat, les franchiseurs signeront la plupart du temps avec un seul membre de l’association, qu’il s’agisse d’un couple ou de deux associés. Une caution peut par ailleurs être exigée du conjoint, afin qu’il soit partie prenante dans le contrat de franchise. L’intuitu personae peut aussi dans certains cas reposer sur deux personnes avec les mêmes droits : préemption, agrément et clause de non concurrence.
Les négociations sont donc ouvertes entre candidats et franchiseur. Même credo pour la formation. Dans le cas d’une multi-franchise, chaque associé signera généralement un contrat et paiera des droits d’entrée à l’image d’un montage individuel en franchise. En revanche, le cadre peut être assoupli si les deux personnes prennent à charge le même emplacement. Négocier pour faire participer sa moitié n’est pas exclu.  « Avec ma conjointe, nous avons tous deux assisté à une formation de six mois auprès d’autres franchisés. Selon le magasin, nous axions la formation davantage sur la partie gestion ou encore sur la partie développement commercial. Mais nous n’avons pas payé de surplus pour la formation, qui n’est prévue au départ que pour une personne », relate Ludovic Osberger.

Article réalisé par Geoffroy Framery

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